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LA CROIX: L’ONG Oxfam ferme des bureaux mais ouvre de nouvelles voies

Oxfam, l’une des premières ONG internationales, va supprimer 1 450 emplois dans le monde et fermer ses bureaux dans 18 des 66 pays où elle est active. « C’est le début de notre nouvelle vision stratégique à dix ans qui transformera Oxfam en un acteur clé dans la lutte contre les inégalités et les privilèges, là où ils s’accroissent », explique Chema Vera, directeur exécutif par intérim de l’organisation fondée à Oxford pendant la Seconde Guerre mondiale.

Depuis, en Grande-Bretagne, ses 700 magasins de vêtements d’occasion et de brocante sont devenus un symbole. Ils ont essaimé dans une dizaine de pays.

Un scandale d’abus sexuel en Haïti en 2008

L’ONG a décidé de décroître, et la crise du coronavirus n’a fait qu’accélérer le mouvement. « Pendant le confinement, nos boutiques ont fermé, notre collecte de rues n’a pu fonctionner, et nous n’avons pu organiser nos trailwalkers, ces défis pour parcourir 100 km par équipes afin de récolter des fonds », explique Marion Cosperec, chez Oxfam France.

Les ventes dans les magasins représentent 17 % d’un budget global d’un milliard d’euros ; les dons collectés, 40 %. Le reste est fourni par les bailleurs de fonds institutionnels pour des projets sur le terrain. Oxfam s’est fait une spécialité de la distribution et de l’assainissement de l’eau, notamment dans les camps de réfugiés. Elle mène aussi des projets de développement et des campagnes de plaidoyer pour dénoncer les inégalités.

Le coronavirus n’est pas la seule cause dans cette décision. Le scandale d’abus sexuels dont se sont rendus coupables, en Haïti, des salariés de l’ONG en 2018, a éloigné des donateurs et décapité la gouvernance de l’organisation, toujours pas stabilisée. Oxfam international est aujourd’hui une confédération comprenant 20 affiliés dans le monde, dont Oxfam France, dirigé par l’ancienne ministre du logement et dirigeante des Verts Cécile Duflot.

Remettre en question son modèle de développement

Pour se réinventer et épouser les évolutions du monde, Oxfam a décidé, en 2018, de transporter son siège d’Oxford à Nairobi, au Kenya. Peu à peu, les équipes suivent ce déménagement. Oxfam a intégré dans sa confédération des ONG de pays émergents, en Inde, Mexique, Brésil, Afrique du Sud et Turquie. « Le pouvoir politique n’est plus concentré en Amérique du Nord et en Europe. On ne peut plus distinguer aussi nettement une fracture entre les pays développés et ceux en développement », analyse Chema Vera. La fracture est souvent entre riches et pauvres, à l’intérieur d’un pays, au sud comme au nord.

Dans ce monde qui évolue, « Oxfam essaie de se remettre en question. Décroître n’est pas mourir. On meurt quand on n’accepte pas les changements du monde et que l’on refuse de se transformer », explique Michel Maietta, directeur du think tank Iaran, conseillant les ONG. Il envisage, par exemple, l’évolution des boutiques Oxfam – « un modèle vieillissant » – vers les prestations de service pour personnes vulnérables. « La crise actuelle va conduire à une augmentation de la paupérisation. Ces boutiques pourraient être des lieux de conseil pour se prendre en main, retrouver un emploi. »

« Apporter de l’humanité là où il n’y en a plus »

À la suite d’Oxfam, la crise déclenchée par l’épidémie de coronavirus va accélérer la mutation des organisations humanitaires. Il s’agit de donner plus de place aux organisations locales pour leur permettre d’accéder directement aux financements sans le filtre des ONG internationales. Il s’agit aussi de travailler davantage ensemble.

Michel Maietta envisage, par exemple, « la constitution d’un réseau de cliniques mutualisées, créées par une alliance d’ONG comme Mercy Corps ou Médecins du monde, qui proposeraient des soins à des prix différentiés selon les revenus des patients. Les ONG reviendraient ainsi à l’essence de leur métier qui est d’apporter de l’humanité là où il n’y en a plus ».