Il est encore temps

Il faut se rendre à l’évidence: le monde d’aujourd’hui est chaotique. Il est non-linéaire, non-prédictible, et flexible. Il est dynamique. C’est vrai qu’à regarder les zones de conflits inter-étatiques et intra-étatiques telles que celles du conflit multi-décennal du Myanmar, le désordre ambiant et sanglant fournit une image très parlante. La crise des Rohingyas, catastrophique, n’est pourtant pas la seule à faire rage localement au Myanmar, ni régionalement en Asie du Sud-Est.

Les besoins humanitaires qui en découlent sont critiques; les réponses humanitaires, insuffisantes. Face à ce constat, quel doit être le rôle de l’aide humanitaire pour alléger les souffrances symptomatiques des crises actuelles et à venir? Le Réseau Inter-Agences d’Analystes Régionaux (IARAN), en collaboration avec l’IRIS, Action Contre la Faim, Futuribles et le Centre de Leadership Humanitaire, vient de publier un rapport intitulé « L’avenir de l’aide humanitaire : les ONGI en 2030 » qui, sans prétendre répondre pleinement à cette question, apporte des pistes de réflexion aptes à nourrir le débat sur la progression de l’aide humanitaire.

La clé ? S’adapter à la complexité

Il n’existe que deux types de progression : l’analyse du passé, et l’invention du futur. Les ONG internationales jusqu’ici se référaient aux expériences passées, aux  échecs encaissés, aux réussites accomplies. Et généralement, ces ONG ont répliqué leurs modèles d’intervention du passé pour les « plaquer » sur de nouvelles crises, avec souvent de maigres résultats. Mais les suivis et les évaluations, les capitalisations, bien qu’indispensables, ne sont plus des réponses à tout. La clé pour demain n’est plus là où elle était hier.

Les ONG doivent désormais être du deuxième type. Alors, que propose ce rapport qui se distingue d’une étude de cas « après-coup » ? Il regarde l’avenir, à horizon 2030. Il met en lumière les crises humanitaires prolongées et structurelles par des scénarios prospectifs. Il est ambitieux, dans son analyse, et dans ses suggestions. Et il est réaliste, quant à la nécessité d’une part de prendre en compte la complexité réelle des crises, et d’autre part de faire évoluer le rôle et le type d’influence que les ONG internationales détiennent dans le système de l’aide humanitaire de demain.

Vous me direz, personne ne connaît précisément le futur des crises humanitaires. A vrai dire, il ne s’agit pas de prédire l’émergence de nouvelles crises, mais de les anticiper pour mieux y répondre. Alors que la prédiction insinue de connaître ce qui sera demain, l’anticipation implique d’imaginer ce qui pourrait être, à travers différents scénarios prospectifs, afin de s’adapter à la complexité.

Crises structurelles, réponses systémiques

Lorsque la crise survient, il est déjà – presque – trop tard pour intervenir. A tout le moins pour intervenir sur le temps long, pour aider à l’amélioration indispensable du système humanitaire. S’adapter permet non seulement de mettre un pansement sur des symptômes des crises, mais surtout de prévenir là où nous le pouvons, avant de guérir là où nous le devons. Le monde évolue. Et tandis qu’il change, il s’adapte. C’est une nécessité vitale, comme un corps qui s’accoutume à la perte d’un membre lors de l’explosion d’une mine sur la frontière birmane. Il faut concentrer ses efforts à embrasser l’incertain propre à un environnement de crise, et à admettre la non-linéarité et la non-prédictibilité des effets d’une crise systémique donnée. Car les crises sont systémiques ; le rapport du IARAN le souligne particulièrement. Elles sont complexes, en ce qu’elles font intervenir une multitude de variables et d’acteurs interdépendants et interconnectés dans un environnement appelé système.

Constatons, pourtant, que le monde humanitaire semble pour l’heure échouer à tenir compte de ces relations systémiques à l’œuvre dans les crises léthales. Agir sans vision systémique des crises, conduit à l’illusion d’un futur imaginé et imagé. Ce serait se priver d’une compréhension profonde quant à la progression des problématiques humaines qui ne cessent de se complexifier. Face à cette grande complexité, une grande capacité d’adaptation, d’intégration, et d’innovation, si ce n’est d’invention, est indispensable pour rendre les actions humanitaires effectives et efficaces. Les ONG internationales sont des acteurs d’un changement, qui, pour ne pas se voir éclipser par les nouveaux acteurs de solidarité, doivent – nous l’avons dis – s’adapter individuellement. Mais afin de se perpétuer, elles doivent surtout s’armer collectivement d’une volonté performante dans la capitalisation des connaissances, le partage d’informations et la coordination voire la coopération dans les actions.

L’enjeu est finalement de taille, mondial. Prendre le temps de la réflexion des dynamiques plausibles à horizon 2030, n’est pas une perte de temps. C’est un canevas indispensable et salvateur. Pour l’instant, l’adaptation est déterminante quant à l’effort de réponses satisfaisantes au système complexe de crises. Les ONG internationales d’aujourd’hui en sont-elles capables ? Nous le verrons demain. Car cette prise de conscience leur est vitale, afin de comprendre enfin que seul, on peut aller vite, sur le temps court, mais ensemble, on va loin, sur le temps long.